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poussière, ou pour un acteur qui s’affiche sur la scène. Ma maîtresse est de cette école : elle franchirait quatorze gradins au delà de l’orchestre pour aller aux derniers rangs de la canaille chercher qui aimer. »

Charmé par ce gracieux badinage : « Je vous prie, lui dis-je, celle qui m’aime, ne serait-ce pas vous[1] ? » Elle rit beaucoup d’un si froid compliment : « Je crains. dit-elle, que vous ne vous en fassiez accroire un peu ; je n’ai jamais succombé avec un esclave, et me préservent les dieux de voir mon amoureux passer de mes bras à la croix. C’est l’affaire des dames, si elles aiment baiser les cicatrices du fouet. Pour moi, qui ne suis qu’une servante, je ne m’assieds qu’au banc des chevaliers[2] ». Je ne pouvais assez m’étonner d’un tel disparate dans les goûts n’était-il pas bizarre de rencontrer chez la servante l’orgueil d’une matrone, et chez la grande dame les bas instincts de la domesticité ?

Après une longue et plaisante conversation, je finis par demander à la soubrette de conduire sa maîtresse sous les platanes voisins. Ce rendez-vous lui convint : aussitôt, relevant sa tunique, elle disparut dans un bosquet de lauriers attenant à la promenade. Elle ne me fit pas languir : elle sort de cette cachette et me colle au côté une femme d’une perfection plus impeccable que toutes les statues connues.

Il n’y a pas de mots pour rendre sa beauté ; tout ce que j’en pourrais dire serait trop faible. Ses cheveux naturellement ondulés se répandaient en flots abondants sur ses épaules son front très étroit était ramené en arrière par

  1. La méprise est plaisante.
  2. Sedeo a aussi le sens obscène : se livrer à quelqu’un. Pétrone a cherché à dessein l’équivoque : la phrase est à volonté, ou élégante, ou très grossière.