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Contempler les plaines de l’Hespérie s’étendant à perte de vue, et tendant
Les deux mains, il lança à pleine voix ces paroles aux étoiles :
« Jupiter tout-puissant, et toi, terre de Saturne,
Fière jadis de mes armes et naguère surchargée du poids de mes lauriers,
Je le jure, c’est malgré moi que j’apporte la guerre à ces armées,
Malgré moi que je porte la main sur toi. Mais une blessure m’y force :
On me chasse de ma patrie, pendant que je teins de sang tes eaux du Rhin,
Pendant que ces Gaulois, de nouveau en route pour le Capitole,
Je les écarte des Alpes, plus sûr d’être un banni après chaque victoire.
Le sang des Germains et soixante triomphes,
Voilà ce lui fait mon crime. Et pourtant quels sont ceux que ma gloire effraye ?
Quels sont ceux qui pensent à une guerre ? Concours achetés,
Manœuvres louches, c’est par vous que ma Rome m’est devenue marâtre.
Mais, je le sais, ce n’est pas impunément, ce n’est pas sans une revanche que ces pleutres
Auront enchainé ma dextre. En avant, camarades :
Vainqueurs et indignés, allez ; la parole est aux armes,
Car tous on nous accuse du même crime, tous
Un même désastre nous menace. Il faut que je vous remercie :
Vous ne me laisserez pas écraser tout seul. Et puisque, pour prix de nos trophées,
On nous menace du châtiment, puisque notre victoire nous vaut des ordures,
Que la Fortune soit juge : jetons les dés. Engagez la lutte,
Éprouvez la force de vos bras. Ma cause est jugée d’avance :
Les armes à la main, entre tant de braves cœurs, je ne saurais être vaincue. »
Telle fut cette proclamation. Aussitôt, du haut du ciel, l’oiseau de Delphes,
Messager d’heureux augure, fendit l’air rapidement.
Et, sur la gauche, d’une sombre forêt,
Sortirent des voix mystérieuses escortées de flammes légères.
L’éclat même de Phébus, dont le globe s’épanchait plus joyeusement,
S’accrut et son visage se ceignit d’une couronne d’éclairs d’or.

CXXIII. SUITE

Plus fort de ces présages, il donne aux enseignes l’ordre d’avancer,
César ! Et par cette initiative osée devançant l’adversaire,
Il fait sienne cette aventure sans précédents.
Tout d’abord la glace et le sol enchaîné sous son blanc manteau
Ne résistèrent pas, endormis dans la molle et horrible neige.
Mais quand les escadrons foulèrent ces nuages solidifiés
Et que les chevaux effrayés ébranlèrent les liens enchainant les ondes,
Les neiges s’échauffèrent bientôt, du haut des monts, les fleuves
Grossissent peine nés. Mais eux aussi — comme sur un ordre —
S’arrêtent et leurs flots s’endorment, suspendus dans leur chute.
Et la neige déjà fondue et prête à tomber s’immobilise.
Déjà peu sûre auparavant, maintenant trop glissante elle défie la marche,
Et échappe au pied qui la foule ; pêle-mêle, hommes et chevaux
Et armes gisent par terre en une terrible confusion.
Mais voici que les nuages, heurtés par un souffle glacé,