Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

N’y nourrit pas d’herbes ; jamais, en un chant printanier, les sonores
Et flexibles pousses n’y échangent de confus murmures :
Mais un chais de roches que hérisse et noircit la pierre ponce
Aime à s’enterrer dans l’ombre funéraire des cyprès environnants,
C’est de ces demeures que surgit la face du vieux Pluton
Que souille la flamme des bûchers et la cendre blanche,
Et voici les mots dont il poursuit la Fortune ailée :
« Toi qui gouvernes en despote les choses divines et humaines,
Hasard, à qui déplaît toute puissance trop sûre d’elle-même,
Qui aimes toute nouveauté et délaisses bientôt ce que tu possèdes,
Est-ce que tu te sens vaincue par le poids de l’Empire romain
Et ne peux- tu davantage soutenir cette masse vouée à la perdition ?
Lui-même ennemi de sa puissance, le peuple romain
Soutient mal l’œuvre immense qu’acheva sa jeunesse. Vois, partout
Le luxe nourri par le pillage, la fortune s’acharnant à sa perte.
C’est avec de l’or qu’ils bâtissent et ils élèvent leurs demeures jusqu’aux cieux ;
Ici les amas de pierre chassent les eaux, là nait la mer au milieu des champs :
En changeant l’état normal des choses, ils se révoltent contre la nature.
Et voici même qu’ils envahissent mes domaines. Transpercée, la terre béante
Se fend en masses insensées ; sous les monts engloutis
Voilà les cavernes qui gémissent, et pour satisfaire une vaine fantaisie,
Ces chercheurs de pierreries vont aux enfers
Porter aux Mânes l’espoir de revoir la lumière du jour.
Allons Fortune, il faut quitter cette figure paisible et te préparer aux combats :
Mets les Romains en branle et peuple mes royaumes de nouvelles ombres.
Il y a si longtemps que nous n’avons pu nous abreuver de sang
Et que Tisiphone n’a pas lavé les membres d’un mort assoiffé,
Depuis que l’épée de Sylla s’abreuva et que, sans culture, la terre
Mit à jour des moissons nourries de sang. »

CXXI. SUITE

Ceci dit, voulant tendre sa dextre en signe d’alliance,
Dans cet effort, il coupe le sol d’un précipice abrupt.
La Fortune serre cette main, et sa poitrine sonore répand ces paroles rapides :
« O père, à qui obéissent les profondeurs insondables du Cocyte,
S’il m’est permis de dire sans crainte la vérité,
Mes vœux vont au-devant des tiens, car une colère non moindre gonfle
Ce cœur, et la flamme qui brûle mes moelles n’est pas moins ardente.
Tout ce que j’ai fait pour les collines romaines, je l’ai en horreur,
Et je m’en veux de ma générosité. Le dieu qui les ruinera
Ce sera le même qui po>a les fondements de leur toute-puissance. J’ai à cœur,
En effet, de livrer ces gens au bûcher et de noyer leur luxe dans le sang.
Et je vois déjà les champs de Philippes jonchés d’un double trépas,
Et les bûchers de Thessalie et les funérailles de la gent espagnole.
Déjà le bruit des armes sonnant à mes oreilles m’assourdit,
Déjà je distingue, ô Nil, les prisons libyennes, et les gémissements du vaincu,