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Sur la terre, c’est que le soldat vagabond l’accumule par la force des armes.
On raffine sur la bouche. Le scare arraché à la mer de Sicile
Est traîné vivant jusque sur nos tables, et, ravies
Aux rives du Lucrin, les huîtres figurent sur nos menus,
Pour réveiller l’appétit à force de dépense. Déjà les rives du Phase
Sont veuves d’oiseaux et sur ses bords muets seul
Le souffle du vent murmure parmi le feuillage désert.
Au champ de Mars ce n’est pas une moindre folie : les citoyens achetés
Changent leur suffrage suivant le gain et les promesses bruyantes.
Vénal est le peuple, vénale l’assemblée du Sénat,
La faveur est à l’encan. Aux vieillards même la courageuse indépendance
Manque ; la puissance romaine domptée par l’argent répandu
Et la majesté même du peuple roi, corrompue par l’or, est ruinée.
Caton vaincu est repoussé par le peuple qui n’est guère fier
De cette victoire : il a honte d’avoir volé les faisceaux à Caton.
Car — honte au peuple romain ! Mœurs de décadence ! —
Ce n’était pas un homme qui subissait un échec, mais la puissance de Rome
En même temps que son honneur. C’est pourquoi Rome était si bien perdue
Que, mise par elle-même au pillage, elle était livrée à ses propres citoyens comme une proie sans défense.
En outre, la plèbe prise dans un double gouffre
Était rongée par la plaie de l’usure et par le besoin d’argent.
Pas une maison de solide, pas un corps sur lequel ne pèse quelque charge,
Mais une sorte de corruption germant au plus secret des moelles
Se répand dans tous les membres, furieuse de soucis aboyants,
Alors les armes ont du charme pour les malheureux et les aises perdues par la prodigalité
Vont se retrouver dans le sang : l’indigent put impunément être audacieux.
Rome, vautrée dans cette fange, plongée dans cette torpeur,
Quels moyens pouvaient efficacement la réveiller,
Sinon les fureurs de la guerre et les passions que soulèvent les armes.

CXX. SUITE DU POÈME

La Fortune avait élevé trois chefs, que tous trois écrasa
Sous le poids des armes, mais diversement, la funèbre Enyo[1]
Crassus est pour le Parthe, le grand Pompée gît au rivage libyque,
Jules arrose de son sang l’ingrate Rome,
Et comme si la terre avait peine à porter tant de sépulcres,
Elle sépara leurs cendres : la gloire assure de tels honneurs.
Il est un lieu, enfoui profondément dans un abime béant,
Entre Parthénope et les champs de la grande Dicéarchée[2],
Que baignent les eaux du Cocyte : car le souffle qui en sort
Furieux se répand en propageant des émanations funestes.
L’automne ne verdit pas cette terre, le pré au gazon riant

  1. Déesse de la guerre.
  2. C’est-à-dire entre Naples et Pouzzoles.