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encore mis la dernière main aux vers que je vais vous dire[1] :

CXIX. LA GUERRE CIVILE, POÈME

Déjà le Romain victorieux était maitre de tout l’univers,
Maitre partout où courent la mer, les terres, les deux astres du jour et de la nuit,
Et il n’était pas rassasié. Les océans que chargent les lourdes carènes
Déjà il les avait parcourus. S’il y avait au bout du monde quelque rive perdue,
S’il existait quelque terre d’où tirer l’or fauve,
Elle lui était ennemie : ses destins étaient mûrs pour ces guerres sans gloire
Où l’on ne cherche que le profit. C’est qu’un bonheur connu de tous
N’avait plus d’attraits, que les plaisirs à la portée du commun paraissaient fades.
Le soldat appréciait la pourpre d’Assyrie ; et l’éclat du diamant
Poursuivi dans le sol indien luttait sur ses épaules, avec celui de la pourpre.
D’ici arrivaient les laines rares des Numides, de là les précieuses étoffes des Sères ;
Pour nos parfums, la nation des Arabes dépouillait ses champs.
Mais voici d’autres désastres, de nouvelles blessures à la paix meurtrie !
On va chercher aux forêts du Maure le fauve ; jusqu’au fond de l’Ammon
L’Afrique est fouillée afin que la bête, précieuse par sa dent cruelle,
Ne manque pas à nos massacres. On charge sur nos vaisseaux, dépaysé et frémissant,
Le tigre qui, rampant, est trainé dans une cage dorée,
Pour qu’il boive, aux applaudissements du peuple, le sang humain.
Hélas ! j’ai honte de parler et de publier des destins mortels :
A la mode des Perses, à des jeunes gens à peine formés
On ravit la virilité, et leurs organes mutilés par le fer
On les sacrifie à l’Amour : il faut que la fuite rapide du temps
Suspende le cours de leurs ans en se laissant arracher un délai :
Chez eux, la nature se cherche et ne se trouve pas. Et ils plaisent à tous,
Ces prostitués traînant nonchalamment un corps sans nerfs,
Avec leurs longs cheveux tombant, et tous ces vêtements aux noms même inconnus,
Toutes choses dont raffolent nos contemporains.
 Mais voici qu’arrachée du fin fond de l’Afrique
On nous expose, avec toutes ses taches qui imitent l’or,
Une table en citronnier avec des troupeaux d’esclaves et de brillantes draperies de pourpre !
Là est la cause de bien des ruines ces planches étrangères et parées d’une fausse noblesse,
La foule ensevelie dans l’ivresse les entoure ; et tout ce qu’il y a de bon

  1. Par leurs qualités et leurs défauts, ces vers se révèlent de la même main que la Prise de Troie. Seulement, tandis que dans ce dernier morceau il semble « qu’il ait voulu lucaniser Virgile, dans le De bello civili il s’efforcera de virgilianiser Lucain ». (Collignon, Et. sur Pétrone, p. 141.) L’auteur a surtout cherché la concision. Il a écrit sur un mètre tragique un fragment d’épopée. Nous sommes donc encore en présence d’une sorte de gageure littéraire.