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Je croyais encore pleurer sur quelque inconnu, lorsque les flots poussent à la côte un cadavre nullement défiguré et je reconnais celui qui peu auparavant était encore le terrible, l’implacable Lycas, maintenant étendu presque sous nos pieds.

Je ne pus retenir mes larmes, et, me frappant plusieurs fois la poitrine : « Qu’est devenue maintenant ta colère ? m’écriai-je. Et ces mouvements aveugles dont tu n’étais pas le maître ? Maintenant, te voilà livré aux poissons et aux fauves, toi qui, il y a si peu de temps, te montrais si fier de ta puissance : de tout ce grand vaisseau il ne t’est pas resté une planche pour te sauver dans le naufrage. Et maintenant allez, mortels, remplissez vos cœurs de grands projets ! Allez, avec toutes vos ruses, et disposez d’avance, pour des milliers d’années, de vos richesses acquises par la fraude ! Lui aussi supputait hier les revenus de ses domaines. Bien plus : il avait fixé dans son esprit quel jour il rentrerait dans son pays. Grands dieux ! que le voilà loin de compte !

« Mais, pour les mortels, la mer n’est pas seule à se montrer perfide. Ce soldat se fie à ses armes, qui le trahissent ; l’autre, qui adressait ses vœux à ses dieux domestiques, périt écrasé sous la ruine de ses pénates : ce dernier, tombant de son char, rend l’âme en râlant. Ce gourmand s’étrangle en mangeant, mais son voisin, trop frugal, se tue à force d’abstinence. Tout bien compté, il n’y a que naufrages dans la vie.

« Mais, dit-on, celui qui périt en mer est privé de sépulture. Hé qu’importe comment disparaît un corps péris-

    cette double signification, et on pourrait traduire à peu près ainsi ce trait ironique : « Pauvre humanité ! quels êtres flottants vous faites ! » ou, en employant un synonyme : « Pauvre humanité, quel plongeon ! » Collignon, Pétrone en France, 1905, p. 188.