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CXV. OU EUMOLPE FAIT DES VERS ET OU ON ENTERRE LYCAS

Mais nous entendons un murmure bizarre, comme un rugissement de fauve cherchant à sortir de sa cage, qui semblait provenir de dessous la chambre du pilote. Courant au bruit, nous tombons sur Eumolpe, assis, en train de couvrir de ses vers un immense parchemin.

Nous nous extasions de le trouver, à deux doigts de la mort, faisant encore des vers ; nous l’arrachons de là malgré ses protestations et l’engageons à reprendre son bon sens. Mais furieux d’être dérangé, il éclate : « Laissez-moi finir ce passage : mon poème tire à sa fin ! »

Je m’empare de cet enragé, je prie Giton de me donner un coup de main pour m’aider à traîner à terre le poète toujours hurlant. Cette opération menée à bonne fin, nous nous réfugions, le cœur serré, dans une cabane de pêcheurs, et après nous être restaurés tant bien que mal avec des, vivres gâtés par l’eau de mer, nous y passons la plus triste des nuits.

Le lendemain, tandis que nous tenions conseil pour savoir où diriger nos pas, j’aperçois tout à coup un corps humain qui, soulevé par un léger remous, était porté vers le rivage. Tout triste, je m’arrête et je me mets, les yeux humides, à songer combien la mer méritait peu de confiance : « Voici un homme, m’écriai-je, que peut-être en quelque coin du monde son épouse attend tranquillement ; peut-être laisse-t-il des fils qui ignorent son naufrage ou un père qui au départ reçut son dernier baiser. Voilà bien les projets des humains, voilà où aboutissent nos châteaux en Espagne ! Voyez ce malheureux. Ne dirait-on pas qu’il nage[1] ? »

  1. Natare a un double sens : nager, flotter, au sens propre et, au figuré : flotter dans ses résolutions, être indécis. Pétrone joue sur