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« Oui, notre amour méritait que les dieux nous unissent dans un même trépas, mais la fortune cruelle ne nous accorde pas cette consolation. Vois les flots qui renversent le navire, vois cette mer irritée qui va rompre notre étreinte. Si donc tu as aimé vraiment ton Encolpe, donne-lui un baiser, pendant qu’il en est encore temps. Ravissons cette suprême joie à la mort qui nous guette. »

Aussitôt Giton ôte sa robe, et s’enveloppant dans ma tunique, offre sa tête à mes baisers, et craignant que, même ainsi enlacés, les flots jaloux ne viennent nous séparer, il nous lie ensemble avec sa ceinture. « S’il ne nous reste pas d’autre recours, nous sommes certains du moins, dit-il, que la mer nous portera longtemps ensemble ; peut-être même, pitoyable, nous accordera-t-elle d’échouer tous deux au même rivage : alors quelque passant, obéissant à une banale pitié, nous ensevelira sous un seul tas de pierres, ou, tout au moins, les flots irrités nous recouvriront d’un sable oublieux. »

Je laisse Giton nouer ces liens suprêmes, et, comme déjà couché sur le lit funéraire, j’attends une mort que je ne crains déjà plus.

Cependant, la tempête achève l’œuvre imposée par le destin et disperse tous les agrès du vaisseau : mâts, gouvernail, câbles, rames, tout est emporté ; il ne reste qu’une masse grossière et informe qui s’en va, errant au gré des flots. Montés sur de petites barques, des pêcheurs accourent au butin. Mais quand ils virent que nous étions plusieurs et résolus à défendre notre bien, ils firent taire leur féroce rapacité pour nous offrir aide et secours.