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tort de s’obstiner dans une douleur stérile, que tous ses gémissements ne serviraient à rien, que la même fin nous attendait tous, et aussi, hélas ! le même domicile. Bref, il lui tint tous les discours propres à guérir un cœur ulcéré. Mais elle, choquée qu’un étranger osât la consoler, se déchire le sein de plus belle, s’arrache les cheveux et les jette à poignées sur le corps de celui qu’elle pleure.

« Le soldat, sans se décourager, insiste de nouveau pour qu’elle prenne au moins quelque nourriture, tant et si bien que la servante, tentée sans doute par l’odeur du vin, et cédant à une instance si obligeante, tendit la première vers le souper sa main vaincue. Aussitôt restaurée, elle se mit à son tour en devoir de battre en brèche l’opiniâtreté de sa maîtresse : « A quoi vous sert-il, dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vive, et, avant la date fixée par les destins, de livrer à l’Achéron une âme qu’il ne réclame pas encore ?

Croyez-vous que, dans leur sépulture, cendres ou mânes, les morts se soucient encore de nos pleurs ?[1].

« Ne voulez-vous pas revenir à la vie ? Ne voulez-vous pas, écartant ces chimères dont se nourrit trop facilement un cœur de femme, jouir de la lumière du jour tant que vous le pourrez ? La vue de ce corps glacé devrait suffire à vous convaincre combien la vie est chose précieuse. »

« On n’écoute pas impunément une voix amie qui vous exhorte à prendre de la nourriture et à vivre ; la veuve, exténuée par un jeûne de plusieurs jours, laisse enfin vaincre son opiniâtreté avec non moins d’avidité que sa servante, elle se garnit l’estomac. Mais elle avait cédé la dernière.

  1. Virgile, Enéide, IV, 34.