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dont on ne pourrait s’emparer sans vol au lieu d’un don gratuit de la nature !

« Et pourtant, nous n’apprécions un bien que si les autres nous l’envient… Un seul rival, et vieux par-dessus la marché, ce n’est pas bien grave. Même s’il tente de faire quelque chose, il perdra haleine avant d’arriver au but de ses désirs. » Devant l’invraisemblance d’une telle tentative, mes appréhensions se calmèrent et, me couvrant la tête de mon manteau, je fis semblant de dormir.

Mais, tout à coup, comme si la Fortune avait à cœur de venir à bout de ma constance, j’entendis, dans la chambre de poupe, une voix qui se plaignait : « C’est donc ainsi qu’il m’a trompé, ce perfidie ! » Ce timbre masculin, déjà familier à mon oreille, me fit tressaillir d’épouvante. Une voix de femme où l’on sentait la même indignation répondit avec emportement : « Si quelque dieu bienveillant faisait tomber ce Giton sous ma patte, il verrait comme je le recevrais ! »

Ces sons familiers, mais inattendus, nous glacèrent à tous deux le sang dans les veines. Pour moi, comme obsédé par un épouvantable cauchemar, je restai longtemps sans parole. Enfin, d’une main tremblante, je tirai Eumolpe, déjà endormi, par le pan de son habit : « Je vous en prie, mon père, à qui est donc ce navire ? ou quels passagers porte-t-il ? Pourriez-vous me le dire ? » Réveillé brusquement, il le prit de travers : « C’était bien la peine, s’écria-t-il, que tu nous cherches tout à l’heure la place la plus tranquille sur le pont, pour nous empêcher ensuite de dormir ! Tu seras bien avancé quand je t’aurai dit que le patron de ce vaisseau est Lycas de Tarente, qui conduit dans cette ville une voyageuse nommée Tryphène. »