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gée, on devinait facilement un de ces hommes de lettres honnis par les riches. Il s’arrêta près de moi. « Je suis, me dit-il, un poète, et, je crois, d’une certaine envolée, si toutefois on peut s’en rapporter aux couronnes que la faveur, je l’avoue, accorde trop souvent aux écrivains sans valeur. Pourquoi donc suis-je si mal vêtu, direz-vous ? Pour une bonne raison, l’amour des choses de l’esprit n’a jamais enrichi personne.

Qui confie sa fortune aux flots en tire de gros revenus ;
Qui va dans les camps affronter les dangers récolte les couronnes d’or.
Un vil flatteur s’endort ivre dans les étoffes de pourpre ;
Celui qui suit les femmes mariées n’a pas honte de les faire financer.
Seul le poète grelotte sous ses haillons gelés
Et de sa bouche affamée implore en vain son art dédaigné.

LXXXIV. OU ENCOLPE CONFIE SES PEINES A EUMOLPE

« Car il en est malheureusement ainsi celui qui, ennemi de tout vice, a entrepris de marcher droit dans la vie, récolte aussitôt la haine de tous par le seul fait d’abord qu’il se distingue du commun : qui, en effet, supporterait les vertus qui lui manquent ? Ensuite, qui n’a d’autre idée que d’échafauder sa fortune veut que tout homme tienne pour le plus grand des biens celui qui est tel à ses propres yeux : glorifiez tant que vous voudrez les gens de lettres pourvu que, devant l’opinion, leur prestige reste inférieur à celui de l’argent. — Je ne sais comment il se fait que la pauvreté soit sœur du génie, ‘ lui répondis-je en soupirant. — Vous avez raison, dit le vieillard, de déplorer le sort fait aux littérateurs. — Ce n’est point la cause de mes soupirs, lui avouai-je ; j’ai bien d’autres sujets d’affliction. »

Et aussitôt, cédant à un penchant qui nous pousse à