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à livre ouvert ; sur sa nourriture, il a mis de côté, jour après jour, de quoi payer sa liberté ; avec ses économies, il a acheté une armoire et deux coupes. N’est-il pas digne de ma considération ? Mais voilà : Fortunata ne veut pas C’est bien là ton idée, pendarde ? Crois-moi, jouis de ton reste, harpie ! Et ne me fais pas trop enrager, coureuse ! ou bien attends-toi un jour ou l’autre à un coup de ma tête. Tu me connais ; ce que j’ai une fois décidé tient comme le clou dans la poutre.

« Mais, pour si peu, n’oublions pas de vivre. Je vous en prie, mes amis, ne vous faites pas de bile pour moi. Autrefois je fus ce que vous êtes, mais par mon mérite me voici arrivé. C’est le cœur qui fait l’homme. Tout le reste ne vaut pas un fêtu. J’achète bien, je vends bien. Je peux bien dire cela de moi, d’autres vous diront le reste. J’étais au comble de la joie, et c’est le moment, soifarde ! que tu choisis précisément pour-me rompre la tête. Sois tranquille, je t’en donnerai des sujets de pleurer sur ton sort.

« Mais, comme j’avais commencé à le dire, c’est l’ordre et la bonne conduite qui m’ont mené jusqu’à ce degré de fortune. Quand j’arrivai d’Asie, je n’étais pas plus haut que ce chandelier, auquel je me mesurais chaque jour, et pour avoir plus vite du poil au menton je me frottais avec l’huile de la lampe. Cependant, joli comme une femme, j’ai fait quatorze ans les délices de mon maître. Il n’y a pas de honte : quand le maître ordonne, on doit obéir. Et cela ne m’empêchait pas de donner égale satisfaction à sa femme. A bon entendeur salut. Je me tais, parce que je n’aime pas me faire valoir.