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sciure de bois teinte avec du safran et du vermillon et, ce que je n’avais encore vu nulle part, mélangée de pierre spéculaire en poudre[1]. Alors Trimalcion : « Je pourrais, dit-il, me contenter de ce service, car vous avez là les secondes tables, celles du dessert. Pourtant, s’il y a encore quelque chose de bon, qu’on l’apporte. »

À ce moment, un esclave égyptien qui servait l’eau chaude se mit à imiter le chant du rossignol. Mais bientôt, Trimalcion ayant crié « Un autre ! », la scène change et un esclave qui se tenait aux pieds d’Habinnas se mit, sans doute sur l’ordre de son maître, à déclamer d’une voix éclatante

Cependant sur la flotte Énée, sûr de son but,
Marchait sans s’écarter de la route fixée.

Jamais sons plus aigres n’écorchèrent mes oreilles. Non seulement ce barbare haussait ou baissait le ton à contre-temps, mais encore il mêlait des vers d’atellanes à ceux de Virgile, si bien que, pour la première fois, le poète me fut odieux.

Quand, épuisé, il s’arrêta un moment, Habinnas nous expliqua : « Et jamais il n’a rien appris. Je l’ai seulement envoyé quelquefois entendre les saltimbanques, et il n’a pas son pareil pour imiter les muletiers[2] ou les bateleurs. C’est surtout dans les cas désespérés que brillent ses talents : alors il est à la fois cordonnier, cuisinier, pâtissier : pas un art qui lui soit étranger. Il n’a que deux défauts, sans lesquels il serait parfait en tous points : il a le bout coupé[3]

  1. La pierre spéculaire servait à faire des vitres. De Valois croit que c’était du talc parfaitement blanc et transparent.
  2. Il s’agit sans doute des muletiers qui figuraient dans les fêtes du dieu Comus et qui étaient dressés à faire des tours.
  3. Ce circoncis est peut-être juif : le nom de Trimalcion, Malcion est peut-être lui-même d’origine sémitique.