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un clin d’œil un plateau chargé de gâteaux avait surgi, avec au milieu un Priape[1], vrai chef-d’œuvre de pâtisserie, qui selon l’usage portait dans sa robe relevée des fruits de toutes sortes et des raisins.

Nous tendions déjà des mains avides vers cette machine quand tout à coup un nouveau changement à vue vint réveiller notre gaîté. Car de tous ces gâteaux et de tous ces fruits, au moindre contact jaillissaient des flots de safran qui venaient nous inonder de vagues odorantes en nous suffoquant presque.

Nous figurant que cette entrée est sacrée, ayant fait les libations suivant le rite, tous debout nous crions : « Le ciel protège l’empereur, père de la patrie[2]. »

Après cette démonstration, voyant faire main basse sur les fruits, nous suivons cet exemple et nous en remplissons nos serviettes ; moi, tout le premier, qui me chargeai consciencieusement, pensant ne pouvoir faire moins pour mon cher Giton. Cependant, trois esclaves revêtus de tuniques blanches firent leur entrée ; deux d’entre eux posèrent sur la table des dieux lares à bulle d’or ; le troisième, portant à la ronde une coupe de vin, s’écriait : « Que les dieux nous soient propices. » Ils déclaraient se nommer : l’un Cerdon, l’autre Félicion, le troisième Lucérion[3]. On fit ensuite circuler le buste très ressemblant de Tri-

  1. Priape, dieu des jardins, était tout indiqué pour présider au dessert. Martial parle aussi (livre XIV) de ces Priapes en pâte cuite, qui portaient des fruits dans leur robe. Nous sommes ici au sixième service.
  2. La méprise s’explique : dans les fêtes religieuses on aspergeait en effet l’assistance avec du safran.
  3. Ce sont trois divinités : Cerdon, dieu du lucre (κέρδος ; gains) Felicion, dieu du bonheur (felix, heureux) ; Lucron, dieu du gain (lucrum, gain).