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XLI. OU TRIMALCION AFFRANCHIT BACCHUS ET VA A LA GARDE-ROBE

Quant à moi, qui étais placé un peu à l’écart, je faisais toutes sortes de réflexions sur le bonnet d’affranchi de ce sanglier. Ayant épuisé les hypothèses les plus bizarres, je finis par me résoudre à questionner le voisin qui m’avait déjà si obligeamment renseigné, sur le point qui me tourmentait. « L’esclave même qui vous sert, répondit-il, aurait pu sans peine vous répondre, car ce n’est pas une énigme. Rien de plus simple : ce sanglier, servi hier à la fin du repas, fut renvoyé intact par les convives rassasiés. Ainsi rendu à la liberté, il reparaît aujourd’hui sur la table comme affranchi. »

Pestant contre ma stupidité, je n’osai plus rien demander, de peur de passer pour un homme n’ayant, jamais soupé dans le monde.

Pendant ce colloque, un très bel esclave, couronné de pampre et de lierre, et se donnant tour à tour les noms de Bromius, de Lyéus ou d’Evius, enfin tous les noms de Bacchus, portait à la ronde des raisins dans une corbeille, tout en chantant d’une voix suraiguë des vers du maître. À ce bruit, Trimalcion se retourne : « Dionysos, s’écrie-t-il, sois Libre ! » C’était dire : Bacchus, sois Bacchus, puisque ce dieu est appelé tantôt Dionysos, tantôt Libre. Mais c’était dire aussi : Esclave Dionysos, sois libre[1]. Sur ce bon mot, l’esclave ôte au sanglier et met sur sa tête le bonnet, signe de l’affranchissement[2].

  1. Bromius, Lyœus, Evius, Dionysius, Bacchus, Liber sont autant de noms du même dieu. La plaisanterie roule sur le mot Liber, qui veut dire à la fois Bacchus et libre.
  2. Les esclaves mettaient un bonnet quand on les affranchissait, parce qu’ils avaient la tête rasée : le bonnet la cachait.