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Par les monts altiers et par les forêts sauvages je trouve quelque repos ; tout endroit habité est ennemi mortel de mes yeux. À chaque pas, naît un penser nouveau au sujet de ma Dame, et souvent le tourment que je souffre à cause d’elle se tourne en jeu ; et c’est à peine si je voudrais changer cette vie douce et amère à la fois, car je dis : Amour te réserve peut-être encore pour un meilleur temps ; peut-être, tandis que tu te tiens toi-même pour peu de chose, es-tu cher à une autre ; et je passe outre en soupirant : Pourrait-ce bien être vrai ? Et comment, et quand ?

Parfois je m’arrête là où quelque pin élevé ou quelque coteau étend son ombre, et alors sur le premier rocher que je rencontre, je retrace par la pensée son beau visage ; quand je reviens à moi, je vois ma poitrine baignée de larmes de tendresse, et je dis : hélas ! où es-tu, et de qui es-tu séparé ! Mais aussi longtemps que je peux tenir mon esprit vagabond fixé sur la première pensée, et m’oublier moi-même dans cette contemplation, je sens Amour de si près, que de sa propre erreur mon âme est satisfaite. Je vois Laure en tant d’endroits, et si belle, que si mon erreur pouvait durer, je ne demanderais rien de plus.

Plus d’une fois — qui me croira ! — je l’ai vue dans l’onde claire et sur l’herbe verte ; dans le tronc d’un hêtre, dans une blanche nuée, si belle que Léda aurait avoué que sa fille lui était inférieure en beauté, comme l’étoile que le soleil efface avec ses rayons. Et plus est sauvage l’endroit où je me trouve, plus déserte est la rive, plus ma pensée se la représente belle. Puis, quand la réalité dissipe cette douce erreur, je m’assieds à l’endroit même, froid et comme une pierre