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d’elle-même, a répandu son éclat, ce qu’elle a fait afin que jamais je ne me sépare d’elle. Je ne le ferai pas ; et si pourtant je cherche parfois à fuir, elle a enfermé mes pas dans le ciel et sur terre, car à mes yeux lassés elle est sans cesse présente, ce qui fait que je me consume entièrement. Et elle reste avec moi de façon que je ne désire pas en voir une autre, et que je ne prononce même pas dans mes soupirs un autre nom.

Tu sais bien, chanson, que tout ce que je dis n’est rien en comparaison de ce qui reste caché dans l’amoureuse pensée que, jour et nuit, je porte en mon esprit, et grâce à laquelle je n’ai pas encore succombé dans une si longue lutte ; car l’éloignement de mon cœur m’aurait déjà tué, à force de me faire verser des larmes. Mais ce confort retarde ma mort.


CANZONE XIII.

Fuyant les lieux habités, il cherche la solitude, pour apaiser le feu de son cœur.

De pensée en pensée, de montagne en montagne, Amour me conduit ; car je trouve tous les chemins fréquentés contraires à la tranquillité de la vie. Si, sur ma plage solitaire, se trouve un ruisseau ou une source, si entre deux monts une ombreuse vallée est assise, c’est là que s’apaise l’âme troublée. Et suivant qu’Amour l’excite, elle rit, pleure, tremble ou se rassure. Et le visage qui la suit, où qu’elle le mène, se trouble ou se rassérène, et reste peu de temps dans un même état. C’est pourquoi, à cette vue, un homme qui aurait quelque expérience d’une telle vie, dirait : celui-ci brûle et ne se doute pas de son état.