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sans cesse ce que ne vit jamais, à ce que je crois, œil mortel, si ce n’est le mien, et qui m’enflamme d’un chaud désir, alors que, moi soupirant, elle se met à sourire. Et ce désir est tel, qu’il ne redoute en aucune façon l’oubli, mais devient éternel. L’été ne le change point, et l’hiver ne saurait l’éteindre.

Je ne vis jamais, après une pluie nocturne, les étoiles s’en aller vagabondes dans le ciel serein et flamboyer à travers la rosée et la gelée, sans avoir devant moi les beaux yeux de Laure où s’appuie ma vie fatiguée, tels que je les vis derrière un beau voile ; et de même que ce jour-là le ciel resplendissait de leur éclat, je les voyais étinceler encore tout humides ; c’est pourquoi je brûle sans cesse. Si je regarde le soleil se lever, je sens apparaître la lumière qui m’énamoure ; si je le regarde se coucher sur le tard, il me semble voir cette même lumière s’en aller ailleurs, laissant les ténèbres à l’endroit qu’elle a quitté.

Si jamais mes yeux ont contemplé en un vase d’or des roses vermeilles et blanches que venait de cueillir la main d’une vierge, il leur a semblé voir le visage de celle qui surpasse toutes les autres merveilles par trois qualités excellentes réunies en elle : ses blondes tresses éparses sur son col, qui vaincrait la blancheur du lait ; et ses joues qu’embellit une douce flamme. Mais pour peu que l’air agite sur la rive les fleurs blanches et jeunes, alors me revient à l’esprit le premier jour où je vis ses cheveux d’or épars à la brise, sur quoi je m’enflamme soudain.

Peut-être j’ai cru pouvoir compter les étoiles une à une, et contenir toutes les eaux dans un petit verre, quand m’est venue l’étrange pensée de raconter en combien d’endroits la fleur des belles, sans sortir