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bien que je prête attention à mille choses diverses, je ne vois qu’une dame et son beau visage.

Depuis que ma mâle aventure, pénible, inséparable et superbe, m’a éloigné de mon meilleur bien, Amour m’a soutenu par le seul souvenir. C’est pourquoi, si je vois l’univers, sous un aspect juvénile, commencer à se vêtir de verdure, il me semble voir à cet âge vert la belle jouvencelle qui maintenant est dame. Quand le soleil monte et devient plus chaud, il me semble que ce même soleil est la flamme d’Amour qui règne en maître dans un cœur élevé ; mais quand le jour se plaint de ce que le soleil disparaît, je vois Laure arrivée à la fin de ses jours.

En regardant les feuilles sur la branche, ou les violettes sur la terre, à la saison où le froid perd de sa force et où les étoiles en acquièrent une plus grande, j’ai dans les yeux les violettes et la verdure dont Amour était tellement armé au commencement de la guerre qu’il me fît, qu’il me tient encore sous son joug. Et cette douce et gracieuse enveloppe qui recouvre les membres délicats où réside l’âme gentille, laquelle me fait paraître tout autre plaisir vil, me rappelle aussi fortement la modeste démarche qu’elle avait alors et qui n’a fait que croître en devançant les années, seule raison et seule consolation de mes maux.

Chaque fois que je vois de loin la tendre neige frappée par le soleil sur les collines, je me dis : Amour me traite comme le soleil traite la neige, et je pense au beau visage plus qu’humain qui peut de loin mouiller mes yeux, mais qui de près les éblouit, et qui dompte mon cœur. Sur ce visage, entre la blancheur du teint et le ton doré de la chevelure, se montre