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CANZONE XI.

Il contemple avec extase ces lieux où il la vit et où il fut heureux de l’aimer.

Claires, fraîches et douces eaux, sur les bords desquelles celle que j’ai seule pour Dame a reposé ses beaux membres ; arbres gracieux où elle se plaisait — je me le rappelle en soupirant — à appuyer son beau flanc ; herbes et fleurs que sa robe légère a couvertes en même temps que son sein angélique ; air serein et béni où Amour m’ouvrit le cœur avec ses beaux yeux, écoutez tous mes douloureuses dernières paroles.

Si c’est bien ma destinée — et le ciel y consent — qu’Amour tienne mes yeux fermés par les larmes, faites à mon corps misérable la grâce d’être recouvert par vous, et que mon âme s’en retourne sans lui à sa véritable demeure. La mort sera moins cruelle si, au moment du douloureux passage, j’emporte cet espoir. Car mon esprit lassé ne pourrait en quittant ma chair et mes os, les laisser en un port plus propice au repos, ni en un plus tranquille tombeau.

Il viendra peut-être encore un temps où la belle et douce cruelle retournera à son séjour habituel, et portera sa vue joyeuse et pleine de désir là où elle m’apparut en un jour béni, et me cherchera. Alors, ô douleur ! me voyant déjà devenu poussière sous la pierre de ma tombe, Amour la fera soupirer si doucement, qu’elle obtiendra merci pour moi dans le ciel, et essuiera ses yeux avec son beau voile.

Ô doux souvenir ! Des beaux rameaux sous lesquels elle était assise, tombait sur sa poitrine une pluie de fleurs ; et elle, humble au milieu de tant de gloire,