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CANZONE X.

Il cherche tous les moyens d’adoucir son chagrin, mais il retombe toujours plus triste.

Si la pensée qui me ronge, tellement elle est poignante et forte, me peignait le visage d’une couleur proportionnée à la souffrance qu’elle me fait endurer, peut-être que celle qui me brûle et qui me fuit, aurait part à mon feu, et qu’Amour s’éveillerait en son cœur où il dort maintenant. Moins solitaires seraient les traces de mes pas par les campagnes et les collines, et mes yeux ne seraient pas constamment baignés de larmes, si elle brûlait aussi, elle qui est comme une glace, et qui ne laisse pas en moi un endroit qui ne soit feu et flamme.

Parce qu’Amour m’enlève ma force et mon savoir, je parle en rimes âpres et dénuées de douceur ; mais ce n’est pas toujours que la branche montre en dehors sa puissance naturelle par son écorce, par ses fleurs ou par ses feuilles. Qu’ils regardent ce que mon cœur enferme, Amour et les beaux yeux à l’ombre desquels il se tient. S’il arrive que la douleur qui le remplit déborde avec mes pleurs et ma plainte, mes pleurs me nuisent à moi et ma plainte est fastidieuse à Laure, car je ne réussis pas à l’émouvoir.

Douces et belles rimes dont je me servis quand Amour me livra son premier assaut, et que je n’avais pas d’autres armes, adviendra-t-il jamais que mon cœur, devenu dur comme l’émail, vous maîtrise jamais de façon que je puisse au moins me soulager comme j’en avais autrefois l’habitude ? Il est, ce me semble, en mon cœur, quelqu’un que ma Dame dépeint sans cesse et dont elle parle toujours. Quand je