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SONNET LVII.

Il se fâche contre Amour, qui ne l’a pas tué après l’avoir rendu heureux.

J’aurai toujours en haine la fenêtre par laquelle Amour me lança jadis mille traits, parce qu’aucun d’eux ne fut mortel ; car il est beau de mourir quand la vie est heureuse.

Mais rester encore dans la prison terrestre m’est, hélas ! une cause de maux infinis ; et je me plains le plus que ces maux soient immortels comme moi, puisque l’âme ne se délivre pas du corps.

Malheureuse ! elle aurait dû, par une longue expérience, s’apercevoir que personne ne peut faire rétrograder le temps, ni lui mettre un frein.

Plus d’une fois je l’ai poursuivie par ces paroles : va-t’en, âme triste ; car celui-là ne part pas à temps, qui laisse derrière lui ses jours les plus heureux.


SONNET LVIII.

Il traite d’ennemis les yeux de Laure, qui ne le laissent vivre que pour le tourmenter.

Aussitôt qu’il a tiré un premier coup de son arc, un bon archer juge de loin quels sont les coups qu’il doit dédaigner, et ceux qu’il peut espérer voir atteindre le but auquel ils sont destinés.

C’est ainsi, madame, que vous avez senti le coup parti de vos yeux arriver droit à mon cœur, d’où il lui faut, par la plaie qui lui a été faite, verser d’éternelles larmes.

Et je suis sûr que vous dites alors : malheureux amant ! à quel désir court-il ? voici le trait dont Amour veut qu’il meure !