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lesquels m’ont destiné à un si grand bien, et rendant grâce à celle qui a élevé mon cœur vers un tel espoir, car jusqu’alors j’avais vécu triste et à charge à moi-même. Depuis ce jour, j’ai été content de moi, emplissant d’une haute et suave pensée ce cœur dont les beaux yeux de Laure ont la clef.

Jamais Amour, ni la changeante Fortune, ne donnèrent à ceux qui furent leurs meilleurs amis en ce monde, un état si joyeux, et je ne le changerais pas contre un seul regard des yeux d’où me vient tout mon repos, comme tout arbre provient de ses racines. Brillantes, angéliques, heureuses étincelles de ma vie, où s’allume le plaisir qui doucement me consume et me ronge, de même que disparaît et fuit toute autre lumière là où la vôtre vient à resplendir, ainsi, quand une si grande douceur y descend, toute autre chose, toute autre pensée sort de mon cœur, et seul Amour y reste avec vous.

Toute la douceur qui fût jamais au cœur des amants fortunés, réunie en un seul lieu, est nulle en comparaison de celle que je ressens, quand parfois vous faites mouvoir, entre les beaux cils noirs et le beau teint blanc votre lumière où Amour se joue. Et je crois que, dès mon enfance et dès mon berceau, le ciel, dans sa prévision, a donné ce contrepoids à ma mauvaise fortune, pour compenser mon imperfection. Aussi combien ils me font tort, le voile et la main qui se mettent si souvent entre mon suprême plaisir et les yeux d’où, jour et nuit, découle le grand désir apaisant mon cœur, dont l’état varie selon l’aspect de Laure.

Comme je m’aperçois, et cela me chagrine, que mon mérite naturel ne peut me rendre digne d’un si