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Non que je m’aperçoive combien mes éloges sont impérieux pour vous ; mais je ne puis résister au grand désir qui est en moi depuis que j’ai vu ce que la pensée ne peut comparer à aucune autre chose, loin que ma parole ni celle d’autrui puisse l’égaler. Principe de mon doux martyre, je sais bien que personne autre que vous ne me comprend. Quand à vos ardents rayons je deviens de neige, votre noble dédain est sans doute alors causé par mon indignité. Oh ! si cette crainte ne tempérait point le feu qui me brûle, je serais heureux de me sentir défaillir, car il m’est plus doux de mourir en leur présence, que de vivre sans elle.

Donc, si moi, objet fragile, je ne me consume pas à un feu si ardent, ce n’est point ma propre valeur qui me fait éviter ce danger, mais la peur, qui glace légèrement le sang errant dans les veines, consolide le cœur afin qu’il brûle plus longtemps. Ô montagnes, ô vallons, ô fleuves, ô forêts, ô champs, témoins de ma vie insupportable, combien de fois m’avez-vous entendu appeler la Mort ? Ah ! douloureux sort ! rester cause ma perte, et fuir ne peut me sauver. Mais si la crainte d’une peine plus grande ne me retenait pas, un moyen prompt et expéditif mettrait fin à cet âpre et rude martyre, causé par celle qui n’en a cure.

Douleur, pourquoi m’entraînes-tu à dire ce que je ne veux pas ? Laisse-moi aller où le plaisir me pousse. Je ne me plains pas de vous, ô yeux plus doux qu’aucun regard mortel, ni d’Amour qui me tient ainsi lié. Voyez de combien de couleurs Amour peint la plupart du temps mon visage, et vous pourrez vous imaginer ce qu’il fait de moi au dedans, alors que jour et nuit il me tient avec cette force qu’il a puisée en vous, ô