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Et elle s’en fit un jeu, disant : — « Je vois bien à quoi tu penses. De même que le Soleil, par ses rayons puissants, fait soudain disparaître toutes les autres étoiles, ainsi maintenant ma vue te semble moins belle, vaincue qu’elle est par une lumière plus éclatante. Mais pourtant je ne permets pas que tu me quittes, car cette dame et moi, nous sommes nées d’une même semence, et nous avons été enfantées d’une même couche, elle d’abord et moi ensuite. — »

La vergogne rompit alors le lien qui m’avait été noué autour de la langue, lors de cette première confusion que j’éprouvai quand je m’aperçus qu’elle s’apercevait de mon trouble ; et je commençai : « — Si ce que j’entends est vrai, bienheureux le père, et bienheureux le jour qui vous ont produite au monde pour l’embellir ; et bienheureux tout le temps que j’ai employé à vous suivre ! Et si jamais je me détournai de la droite voie, je m’en repens fort, et plus que je ne le montre. Mais si j’étais digne d’en entendre davantage sur votre condition, j’en brûle de désir. — » Pensive, elle me répondit, son doux regard tellement fixé sur le mien qu’elle le faisait pénétrer au fond de mon cœur avec ses paroles :

« — Ainsi qu’il plut à notre père éternel, chacune de nous deux naquit immortelle. Malheureux, à quoi cela vous sert-il ? Il eût mieux valu pour vous que nous fussions moins parfaites. Pendant un temps, nous fûmes aimées, belles, jeunes et agréables ; et maintenant nous en sommes venues à un tel point, que ma sœur bat des ailes pour retourner à son antique patrie. Pour moi, je suis une ombre ; et maintenant je t’en ai dit tout autant que tu pouvais en entendre si rapidement. — » Puis, elle fit quelques