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pas vue jusque-là ; ce qui me produisit dans le cœur un froid glacial qui y est encore, et qui y restera jusqu’au jour où je serai dans ses bras.

Mais la peur et le trouble ne me ravirent pas tellement à moi-même que je ne donnai à mon cœur assez de hardiesse pour les fouler aux pieds, afin de tirer plus de douceur de ses yeux. Et elle, qui avait déjà remis le voile devant les miens, me dit : « — Ami, vois comme je suis belle ; et demande tout autant qu’il te semble convenir à ton âge. —  » « — Madame, dis-je, il y a déjà longtemps que j’ai mis en vous mon amour que je sens maintenant si ardent ; ce qui fait, qu’en cet état, toute autre volonté m’est enlevée. — » Alors, avec une voix admirablement douce, et avec un air qui me fera trembler et espérer toujours, elle répondit :

« — Rarement en ce monde, parmi une si grande foule, un homme a entendu parler de mon mérite sans ressentir au cœur, au moins pour quelque temps, quelque étincelle d’amour. Mais mon ennemie, que toute chose bonne irrite, l’éteint bientôt ; de là meurt toute vertu, et domine un autre maître qui promet une vie plus tranquille. Amour, qui l’ouvrit tout d’abord, m’a dit sur ton esprit des choses d’où je vois vraiment que le grand désir te fera digne d’une fin honorée. Et comme tu es déjà de mes rares amis, tu verras en cette qualité une dame dont la vue te réjouira plus que la mienne. — »

Je voulais dire : c’est chose impossible, quand elle : « — Or, lève un peu les yeux et vois, dans un lieu plus calme, une dame qui s’est toujours montrée à peu de gens. — » J’inclinai vivement mon front couvert de rougeur, sentant en moi un feu plus grand.