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attire une plus grande foule de soupirs ! Et moi je suis un de ceux qui aiment à pleurer. Et il paraît bien que je m’étudie à ce que mes yeux soient imprégnés de larmes, comme mon cœur de douleur. Et parce que parler des beaux yeux de Laure me pousse à pleurer — et il n’y a chose au monde qui me touche à ce point, ou que je ressente si profondément — je reviens le plus souvent à ce qui est pour moi une plus large source de chagrin, et, par mon cœur, sont ainsi punis les deux yeux qui, sur le chemin d’Amour, furent mes guides.

Les tresses d’or qui devraient faire aller le soleil plein d’une immense jalousie ; et le beau regard serein, où les rayons d’amour sont si chauds qu’ils me font mourir avant le temps ; et les accortes paroles, si rares au monde et sous le soleil, dont elle me fit gracieusement largesse, tout cela m’est enlevé. Et je pardonne plus facilement toute autre offense, que de me voir refusé ce doux et angélique salut qui avait coutume d’élever mon cœur à la vertu, en allumant son désir. De sorte que je ne pense pas entendre jamais rien qui m’induise à autre chose qu’à pousser des gémissements.

Et pour que je pleure avec encore plus de charme, ces lieux alpestres et sauvages me cachent les blanches mains délicates, et les beaux bras, et les gestes suavement altiers, et les doux dédains altièrement humbles, et la belle et jeune poitrine, siège d’une haute intelligence. Et je ne sais si j’espère la voir avant que je meure. Pourtant, de temps en temps, surgit quelque espoir, mais il ne reste pas ; il retombe soudain et me confirme dans la crainte que je ne reverrai jamais celle que le ciel honore, en qui rési-