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« Oh ! malheureux qui compte les jours, dont chacun lui semble mille années ; qui vit en pure perte, et jamais ne redescend en lui-même sur la terre ;

« Qui va cherchant sur la mer et sur toutes les rives, et partout où il se trouve, n’a jamais qu’une seule préoccupation : penser à elle seule, parler d’elle seule, écrire sur elle seule ! »

« Alors, du côté d’où venait le son, je tournai mes regards langoureux ; et je vis celle qui nous servit tous deux, qui me poussa et qui te retint.

« Je la reconnus à son visage et à sa voix ; car souvent autrefois elle a consolé mon cœur. Maintenant grave et sage, elle était alors honnête et belle.

« Et quand j’étais dans mon plus bel état, dans mon âge le plus vert ; quand je t’étais plus chère que tu ne l’as donné à dire et à penser à beaucoup de gens,

« La vie me fut presque amère en comparaison de cette tranquille et douce mort si rarement accordée aux mortels ;

« Car dans tout ce passage de la vie à la mort j’étais plus joyeuse que l’exilé qui revient à sa douce chaumière ; si ce n’est que j’étais seulement troublée de pitié pour toi. — »

« — Eh ! madame — dis-je — par cette fidélité qui vous fut, je crois, manifeste en son temps et qui maintenant vous est encore plus évidente en présence de celui qui voit tout,

« Amour vous mit-il jamais en tête d’avoir pitié de mon long martyre, sans pour cela abandonner votre haute et honnête entreprise ?

« Car vos doux dédains, vos douces colères, vos doux apaisements écrits dans vos beaux yeux, ont