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« — Tu n’as aucun pouvoir sur celles-ci, et tu en as bien peu sur moi et seulement en ce qui regarde mon corps — répondit celle qui fut unique en ce monde —

« J’en connais un qui en sera plus fâché que moi, c’est celui dont le salut dépend de ma vie ; quant à moi tu me feras une grâce en m’enlevant d’ici bas. — »

Comme celui qui jette les yeux sur une chose nouvelle et voit qu’elle ne concorde pas avec son principe, ce qui l’étonne et le fait revenir sur soi-même,

Ainsi fut-il de cette bête féroce ; puis, quand elle se fut un peu remise : « — je les reconnais bien — dit-elle, — et je sais quand mes dents les ont mordues. — »

Puis, d’un œil moins courroucé et moins sombre, elle dit : « — Toi qui mènes la belle troupe, tu n’as jamais éprouvé, il est vrai, mon rude choc.

« Si tu en crois mon conseil, alors que je pourrais user de la force, il vaut mieux fuir la vieillesse et ses nombreuses infirmités.

« Je suis disposée à te faire un honneur que je ne fais point d’habitude aux autres, et à te faire disparaître sans peur et sans souffrance aucune. — »

« — Comme il plaira au Maître qui est au ciel et qui de là régit et modère l’univers, tu feras de moi ce que tu fais des autres. — »

Ainsi répondit Laure. Et voici que toute la campagne apparut pleine de tant de morts, que prose ni vers ne pourraient le rendre.

De l’Inde, du Catay, du Maroc et de l’Espagne, cette immense multitude de gens morts dans la longue succession des temps, avait déjà rempli le milieu et les côtés de la plaine.