Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tortueux. Les vies sont si courtes, si lourds et si fragiles sont les corps des hommes mortels, que lorsque je me vois si séparé de ce beau visage, ne pouvant avec mon désir déployer les ailes, mon confort habituel me sert de peu, et je ne sais combien de temps je pourrai vivre en cet état.

Tout lieu m’attriste où je ne vois pas ces beaux yeux suaves qui ont emporté les clefs de mes doux pensers, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu. Et pour que le dur exil me soit encore plus pénible, si je dors, si je marche ou si je repose, je ne demande jamais autre chose, et tout ce que j’ai vu depuis eux, me déplaît. Combien de montagnes, combien d’eaux, combien de mers et de fleuves me cachent ces deux flambeaux qui ont changé mes ténèbres quasi en une belle clarté de midi, afin que le souvenir m’en soit plus cruel, et que la vie âpre et ennuyeuse que je mène présentement me fasse sentir combien ma vie était alors joyeuse !

Hélas ! si parler d’elle redouble cet ardent désir qui naquit le jour où je laissai derrière moi la meilleure partie de moi-même, et si Amour s’en va par un long oubli, qui me pousse ainsi vers l’appât dont s’accroît ma douleur ? Et pourquoi, auparavant, n’essayé-je pas, en me taisant, de me pétrifier ? Certes, le cristal ni le verre n’ont jamais laissé voir au dehors une couleur étrangère, enfermée en eux, plus clairement que l’âme désolée ne montre nos pensées et la douceur cruelle cachée dans le cœur, au moyen des yeux qui, toujours avides de pleurer, ne font jour et nuit que chercher chose qui les satisfasse.

Étrange plaisir qui se trouve souvent dans l’esprit des humains, d’aimer toute chose nouvelle qui leur