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prie jour et nuit — ô cruel destin — et c’est à peine si elle écoute une de mes prières sur mille.

Dure loi d’Amour ! mais bien qu’elle soit injuste, il faut l’observer, parce qu’elle est descendue du ciel sur la terre, qu’elle est universelle et de toute antiquité.

Je sais maintenant comment le cœur se déchire, comment il faut faire la paix, la guerre, ou la trêve ; et dissimuler sa douleur quand il est sous le coup d’un chagrin poignant.

Et je sais comment en un même instant le sang se retire des joues et s’y précipite, s’il arrive que peur ou vergogne s’ensuive.

Je sais comment le serpent se cache sous les fleurs ; comment on est toujours entre la veille et le sommeil ; comment, sans être malade, on languit et on meurt.

Je sais comment on cherche sans cesse les traces de sa douce ennemie, en tremblant de la trouver ; et je sais de quelle façon l’amante se transforme en celui qui l’aime.

Je connais les longs soupirs et les joies brèves ; les volontés dont on change à chaque instant ; je sais comment on peut vivre l’âme séparée du corps.

Je sais me tromper moi-même mille fois le jour ; je sais, suivant l’objet de ma flamme, partout où il me fuit, brûler de loin et geler de près.

Je sais comment Amour règne en tyran sur l’esprit, et comment il en chasse toute logique ; je sais de combien de manières le cœur peut se fondre.

Je sais quelle petite corde suffit pour lier une âme sensible, quand elle est seule et n’a personne pour la défendre.