Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.

redoute un mal futur, et tremble avant le danger, pressentant que quelqu’un va l’assaillir,

J’étais de la couleur du cadavre qu’on arrache à la tombe ; lorsque, à mes côtés, je vis ma jouvencelle, plus pure que la blanche colombe.

Elle s’empara de moi ; et moi qui aurais juré pouvoir me défendre d’un homme couvert de ses armes, je fus enchaîné par des paroles et par des gestes.

Et comme je crois bien me rappeler, mon ami s’approcha plus près de moi, et, avec son sourire, pour augmenter encore mon souci,

Me dit à l’oreille : « — Désormais il t’est permis de parler directement toi-même avec qui tu voudras, car nous sommes tous marqués de la même poix. — »

J’étais devenu un de ceux à qui le bonheur des autres déplaît plus que leur propre mal, en voyant celle qui m’avait fait son prisonnier, rester libre et paisible.

Et, comme je m’en aperçois trop tard après le mal, elle me faisait mourir d’amour, de jalousie, de désir pour sa beauté.

Je ne détournais pas les yeux de son beau visage, comme un homme malade qui désire toute chose douce et contraire à sa guérison.

J’étais aveugle et sourd à tout autre plaisir, la suivant par des endroits si dangereux, que j’en tremble encore quand je m’en souviens.

C’est depuis ce temps que je tiens les yeux humides et baissés, que j’ai le cœur plein de rêves, et que je cherche la solitude des fontaines, des ruisseaux, des montagnes, des bois et des rochers.

Depuis ce moment jusqu’à ce jour, je n’ai cessé de couvrir le papier de pensées, de larmes et d’encre ;