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faire tant de désirs, les nuits nous furent accordées courtes et rares.

« En vain nous fûmes conduits au joug du mariage ; en vain nous invoquâmes pour notre ardent amour les meilleures raisons, nos nœuds légitimes furent rompus :

« Celui qui, à lui seul, vaut plus que le monde entier, nous sépara par ses nobles paroles, sans tenir aucun compte de nos soupirs.

« Et bien que cette séparation soit la cause pour laquelle je me plaignis et je me plains, je vis briller en lui une éclatante vertu ; car tout à fait aveugle est celui qui ne voit pas le soleil.

« Une grande justice est un grave dommage pour les amants. Ce conseil donné par un tel ami fut donc l’écueil où vint échouer notre amoureuse entreprise.

« C’était pour moi un père par la gloire, un fils par l’amour, un frère par les années ; c’est pourquoi je dus obéir, mais le cœur triste et les yeux troublés.

« Ainsi cette amie qui m’était chère dut périr ; car se voyant tombée au pouvoir des Romains, elle aima mieux mourir qu’être esclave.

« Et moi je fus le ministre de ma douleur. Celui qui me priait m’adressait de si ardentes prières, que je me sacrifiai pour ne pas l’offenser.

« Et je lui envoyai le poison, avec quel poignant désespoir, moi seul je le sais, et elle le comprit bien. Et tu le comprendras aussi toi, si tu as ressenti peu ou prou l’amour.

« Les larmes, voilà l’héritage que me laissa une telle épouse. Je préférai perdre avec elle tout mon bien, toute mon espérance, que de manquer à ma foi.