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spectacle grandiose, inusité et nouveau ; car je n’éprouve pas d’autre plaisir que celui d’apprendre.

Je vis quatre destriers bien plus blancs que neige, et, sur un char de feu, un jeune garçon à l’air cruel, l’arc en main et ayant au flanc les flèches

Contre lesquelles il n’y a ni casque ni bouclier qui résiste. Sur ses épaules, il avait deux grandes ailes aux mille couleurs, et tout le reste de son corps était nu.

Autour de lui étaient d’innombrables mortels, les uns pris dans la bataille, les autres tués, d’autres blessés de traits poignants.

Désireux d’avoir de leurs nouvelles, je m’avançai jusqu’à ce que je fusse mêlé à ces gens qu’Amour a séparés de la vie avant le temps.

Alors je m’efforçai de regarder si j’en reconnaîtrais quelques-uns parmi la foule épaisse des victimes de ce roi toujours à jeun de larmes.

Je n’y reconnus personne ; et s’il y avait quelqu’un de ma connaissance, la mort, ou la cruelle et dure prison avait changé son aspect.

Une ombre un peu moins triste que les autres vint à ma rencontre et m’appela par mon nom, disant : « — Voilà ce qu’on gagne à aimer. — »

Alors moi, tout étonné, je dis : « — Or, comment me connais-tu, puisque je ne te reconnais pas ? — » Et elle : « — Cela provient des lourdes charges

« Des chaînes que je porte ; l’air obscur empêche aussi tes yeux ; mais je te suis vraiment ami, et je naquis comme toi en terre toscane. — »

Ses paroles et sa façon de raisonner que j’avais connue autrefois, me découvrirent ce que son visage me cachait ; et nous montâmes ainsi sur un point découvert.