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Mon adversaire, avec d’aigres reproches, commence : « — Ô dame, écoute l’autre partie qui dira sans faute la vérité dont s’écarte cet ingrat. Celui-ci, dès son premier âge, fut adonné à l’art de vendre des paroles futiles, ou plutôt des mensonges ; et il ne paraît pas avoir honte, ayant été délivré de cet ennui pour goûter mes plaisirs, de se plaindre de moi qui l’ai conservé pur et net contre le désir qui souvent l’entraînait vers son mal ; voilà pourquoi il se lamente maintenant dans cette douce vie qu’il nomme misère, alors que par moi seul il est parvenu à quelque renommée, car j’ai élevé son intelligence où, par elle-même, elle ne se serait jamais élevée.

« Il sait que le grand Atride, et le sublime Achille, et Annibal si funeste à votre pays, et un autre encore, le plus illustre de tous par le mérite et la fortune, je les laissai, ainsi que leurs étoiles l’avaient ordonné pour chacun, tomber en un vil amour pour des servantes ; et pour celui-ci, entre mille dames choisies parmi les excellentes, j’en ai choisi une comme il ne s’en verra jamais sous la lune, quand même Lucrèce retournerait à Rome ; et je lui donnai un idiome si doux et un chant si suave, que jamais une pensée basse ou pesante ne put durer devant elle. Telles furent mes tromperies envers celui-ci.

« Tel fut le fiel, tels furent les dédains et les colères, plus doux de beaucoup que tout ce qu’aurait pu lui donner aucune autre. D’une bonne semence, je récolte un mauvais fruit, et voilà la récompense qu’obtient celui qui sert un ingrat. Je l’avais si bien conduit sous mes ailes, que sa façon de dire plaisait aux dames et aux cavaliers ; et je le fis monter si haut, que son nom bouillonne parmi les plus chauds génies,