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repaissant le cœur de souvenirs et d’espérance. Maintenant, hélas ! je lève la main, et je rends les armes à mon impitoyable et violente destinée qui m’a privé d’une si douce espérance. Seul, le souvenir me reste, et c’est de lui seul que je nourris mon grand désir ; aussi mon âme se consume et s’affaiblit par le jeûne.

Comme un courrier en chemin, si la nourriture lui manque, est contraint de ralentir sa course, la force qui le faisait marcher vite diminuant, ainsi ma vie fatiguée ayant manqué de ce cher aliment auquel vint mordre celle qui met le monde à nu et rend mon cœur triste, la douceur se change d’heure en heure pour moi en amertume, et le plaisir en ennui ; c’est pourquoi, je désespère et je crains de ne pas pouvoir accomplir mon voyage si court. Neige ou poussière au vent, je fuis pour abréger mon pèlerinage ; et qu’ainsi soit, si c’est bien là ma destinée.

Jamais cette vie mortelle ne me plut — Amour le sait, lui avec qui j’en parle souvent — sinon à cause de celle qui fut sa lumière et la mienne. Depuis qu’en mourant sur la terre, cet esprit par qui j’ai vécu est allé renaître au ciel, le suivre — que cela ne m’est-il permis ! — est mon suprême désir. Mais j’aurai toujours sujet de me plaindre de ce que je fus malhabile à prévoir mon sort qu’Amour me montra sous ce beau sourcil, pour me donner un autre conseil ; car tel est mort, triste et inconsolé, pour qui, peu auparavant, mourir eût été chose heureuse.

Dans les yeux où mon cœur avait coutume d’habiter, jusqu’à ce qu’il portât envie à mon sort cruel, qui le bannit d’une si riche demeure, Amour avait écrit de sa propre main, en lettres pieuses, ce qu’il arriverait bientôt de mon désir d’aller si loin. Il était beau