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templer avec un tel désir, que je mis en oubli et moi-même et mon mal.

J’étais sur la terre et mon cœur était au paradis, oubliant doucement tout autre souci ; et je sentais ma vivante personne se changer en marbre et s’emplir d’étonnement, quand une dame à l’air fier et assuré, d’âge antique et jeune de visage, me voyant si fixement attaché aux mouvements de ce front et de ces sourcils : « C’est de moi, dit-elle, c’est de moi qu’il te faut prendre conseil, car j’ai un tout autre pouvoir que tu ne le crois ; et je sais rendre en un instant joyeux et triste. Plus légère que le vent, je gouverne et bouleverse tout ce que tu vois en ce monde. Tiens, comme l’aigle, tes yeux fixés sur le soleil, et prête en même temps l’oreille à ces paroles de moi :

« Le jour que celle-ci naquit, les étoiles qui produisent parmi vous les effets heureux étaient aux lieux sublimes et choisis, tournées avec amour les unes vers les autres. Vénus et son père, sous un aspect bienveillant, occupaient les principales et les plus belles places ; et les étoiles funestes et perfides étaient quasi entièrement chassées du ciel. Le Soleil n’entr’ouvrit jamais un si beau jour ; l’air et la terre étaient pleins d’allégresse, et les eaux, par les mers et par les fleuves, jouissaient d’une paix profonde. Parmi tant de lumières amies, une nuée lointaine me déplut, et je crains qu’elle ne se résolve en pleurs, si la pitié ne tourne autrement le ciel.

« Lorsqu’elle vint vivre en ce séjour si bas, et qui, à vrai dire, n’était pas digne d’elle, ce fut chose étrange de la voir déjà sainte et douce, bien qu’encore enfant ; elle semblait une perle blanche dans l’or fin ; marchant tantôt sur ses mains et sur ses pieds,