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au soleil aussi rapidement que je me sentis défaillir tout entier, et changer en fontaine au pied d’un hêtre. Je poursuivis longtemps cet humide voyage. Qui a jamais entendu dire qu’une fontaine naisse d’un homme ? Et pourtant je parle de choses manifestes et certaines.

L’âme que Dieu seul a faite noble — car une telle grâce ne peut venir d’un autre — a retenu quelque chose qui la fait ressembler à son Créateur. Aussi, elle n’est jamais lasse de pardonner à qui vient à merci, avec un cœur et une attitude humbles, queque nombreuses qu’aient été les offenses. Et si, contre sa nature, elle se laisse longtemps prier, elle se modèle sur lui. Et elle le fait pour qu’on s’épouvante de la faute ; car celui-là ne se repent point bien d’une faute, qui s’apprête à en commettre une autre. Quand ma Dame, émue de pitié, daigna me regarder, elle vit et elle reconnut que la peine avait été égale à la faute ; bénigne, elle me remit en mon premier état. Mais il n’y a rien au monde en qui l’homme sage doive se fier ; car, malgré mes prières, elle me changea les nerfs et les os en dure pierre, et je restai une voix dépouillée de ses anciens membres, appelant la mort et ma Dame seule par son nom.

Esprit douloureux, errant — je m’en souviens — par les cavernes désertes et étrangères, je pleurai pendant de nombreuses années mon audace effrénée. Mais ensuite ce mal prit encore fin et je revins dans mes membres terrestres pour y ressentir, je crois, une douleur encore plus grande. Je poursuivais si avant mon désir, qu’un jour je me mis à chasser, comme j’en avais l’habitude ; et je vis, cette belle et cruelle bête qui se tenait toute nue dans une source,