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que j’étais, en un rocher quasi vivant et épouvanté.

Elle parlait d’un air si courroucé, qu’elle me fit trembler dans la pierre où j’étais, en entendant : Je ne suis pas telle que tu me crois sans doute. Et je me disais à part moi : Si elle me délivre de cette enveloppe de pierre, nulle existence ne me sera ennuyeuse ni triste. Reviens, mon seigneur, me faire pleurer. Je ne sais comment, mais je m’en allai de là, n’accusant personne que moi-même, et je restai tout ce jour moitié vif et moitié mort. Mais comme le temps est court, la plume ne peut suivre de près le bon vouloir ; ce qui fait que je passe bien des choses écrites en mon souvenir, et que je parle seulement de quelques-unes, cause d’étonnement pour qui les écoute. La mort s’était roulée autour de mon cœur, et, en me taisant, je ne pouvais l’arracher de ses mains, ni secourir mes esprits oppressés. Parler de vive voix m’était interdit ; c’est pourquoi je criai avec le papier et l’encre : Je ne suis plus à moi, non ; si je meurs, c’est votre faute !

Je croyais bien ainsi me rendre à ses yeux digne de pardon, d’indigne que j’étais ; et cet espoir m’avait rendu audacieux. Mais tantôt l’humilité éteint l’indignation, tantôt elle l’enflamme ; j’ai su cela depuis, ayant vécu longtemps dans les ténèbres, car à cause de ces prières, ma lumière avait disparu. Et moi, ne retrouvant plus tout autour de moi la trace de son ombre ni même de ses pas, comme un homme qui dort en marchant, je me jetai, un jour, lassé sur l’herbe. Là, accusant le fugitif rayon, je lâchai le frein aux tristes larmes, et je les laissai tomber sur le sol comme il leur plut. Et jamais neige ne disparut