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maine ne prévaut ; c’étaient la façon de penser et de se taire, de rire et de jouer ; le maintien honnête et l’entretien courtois ; les paroles qui, à les entendre, auraient fait un gentilhomme d’une âme vile ; l’angélique semblance, humble et douce, dont elle entendait faire de tous côtés l’éloge ; et la manière de s’asseoir et de se tenir debout, qui souvent laissaient les gens embarrassés de savoir quand et de quoi ils devaient le plus la louer. Avec ces armes, tu triomphais des cœurs les plus durs ; maintenant tu es désarmé, je suis tranquille.

Les esprits que le ciel soumet à ton empire, tu les lies tantôt d’une façon, et tantôt d’une autre ; mais moi, il n’y a qu’un lien dont tu aies pu me lier, car le ciel ne voulut pas t’en permettre plus. Cet unique lien est brisé ; et quoiqu’en liberté, je ne me réjouis pas, mais je pleure et je crie : ô noble voyageuse, quelle est la sentence divine qui, m’ayant lié le premier, te délie, toi, la première ? Dieu qui te retira promptement au monde, ne nous montra une si grande et une si haute vertu, que pour enflammer notre désir. Certes, je ne crains plus, Amour, de nouvelles blessures de ta main ; en vain tu tends l’arc, tu frappes à vide ; sa puissance est tombée quand les beaux yeux se sont fermés.

Amour, la mort m’a complètement affranchi de ta loi. Celle qui fut ma Dame est allée au ciel, laissant ma vie triste et libre.