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faite et ma vie n’est qu’une mort. C’est en vain que, maintenant, tu uses ta force sur moi, tant que la terre recouvre mon premier amour.

Fais que je revoie le beau regard qui fut un soleil sur la glace dont j’allais toujours chargé ; fais que je te trouve au passage où mon cœur est passé sans retour ; prends tes flèches dorées et prends l’arc, et fais-le-moi entendre, comme d’habitude, avec le son des paroles par lesquelles j’appris quelle chose c’est que l’amour ; fais mouvoir la langue où étaient préparés à toute heure, les hameçons auxquels je fus pris, et l’appât que je désire toujours ; et cache tes lacs parmi les cheveux blonds et crespelés, car mon désir ne peut s’engluer ailleurs ; éparpille de tes mains ces cheveux au vent ; lie-m’en, et tu pourras me rendre heureux.

Il n’y aura jamais rien qui puisse me détacher de ce lien d’or, négligé avec art, débouclé et en liberté, ni de l’ardente attraction de sa vue doucement acerbe, laquelle, jour et nuit, conservait en moi l’amoureux désir plus vert que le laurier ou que le myrte, alors que le bois et la campagne se revêtissent ou se dépouillent de feuillage et d’herbe. Mais puisque la Mort est devenue si superbe qu’elle a brisé le nœud dont je redoutais de m’échapper, et que tu ne peux pas trouver, tant que tournera le monde, de quoi en ourdir un second, à quoi te sert, Amour, de mettre encore ton génie à l’épreuve ? La saison est passée, tu as perdu les armes qui me faisaient trembler ; désormais que peux-tu me faire ?

Tes armes, c’étaient les yeux dont les flèches embrasées sortaient d’un invisible feu, et craignaient peu la raison, car, contre le ciel, aucune défense hu-