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est en paradis ; elle s’est délivrée de ce voile qui ombrageait ici la fleur de ses années, pour s’en revêtir ensuite une fois encore, et ne plus jamais s’en dépouiller, quand nous la verrons devenir d’autant plus excellente et plus belle, que l’éternelle beauté l’emporte sur la beauté mortelle.

Plus belle et plus gracieuse dame que jamais, elle revient vers moi, comme là où elle sent que sa vue est plus chère. C’est là une des colonnes de ma vie. L’autre est son nom éclatant qui résonne en mon cœur si doucement. Mais quand il me revient à l’esprit que mon espérance est morte juste au moment où, pleine de vie, elle était dans sa fleur, Amour sait bien ce que je deviens, et — je l’espère — elle le voit aussi, celle qui est maintenant si près de la vérité.

Dames, vous qui admiriez sa beauté et son angélique vie, ainsi que sa démarche céleste sur la terre, pleurez sur moi et que la pitié vous touche, mais non pour elle qui s’est élevée à une si grande paix, et m’a laissé en pleine guerre, de telle sorte que si d’autres puissances me ferment longtemps encore le chemin pour la suivre, les paroles qu’Amour me dit m’empêcheront seules de trancher le nœud de ma vie ; mais voici la façon dont il raisonne au dedans de moi :

Mets un frein à la grande douleur qui te transporte ; car par excès de désirs on perd le ciel où ton cœur aspire, où est vivante celle qui semble morte aux autres, et où elle sourit de ses belles dépouilles, tandis que toi seul la fais soupirer. Et elle te prie de ne pas laisser éteindre sa renommée qui, en beaucoup d’endroits, respire encore par ta bouche ; mais que ta voix fasse au contraire briller son nom, si ses yeux te furent doux et chers.