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chemin de l’honneur à celui qui croit trop en lui. Et je sens d’heure en heure me venir au cœur un gracieux mépris, âpre et sévère, qui amène mes plus secrètes pensées sur mon front, où tout le monde peut les voir. Car aimer une chose mortelle avec la foi qu’il convient d’avoir pour Dieu seul à qui elle est due, est d’autant plus coupable qu’on en désire une plus grande récompense. Voilà ce que proclame à haute voix la raison égarée derrière les sens ; mais bien que je l’écoute, et que je pense à retourner en arrière, la mauvaise habitude la met en fuite, et retrace à mes yeux celle qui naquit uniquement pour me faire mourir, attendu qu’elle me plaît trop et qu’elle se plaît trop à elle-même.

Je ne sais pas quel espace le ciel m’a destiné, quand je vins tout d’abord sur la terre pour subir l’âpre guerre que j’ai su ourdir contre moi-même ; et je ne puis, à cause du voile corporel, prévoir le jour qui clôt la vie ; mais je vois mes cheveux changer, et, au dedans de moi-même, mes désirs changer également. Maintenant que je me crois près du moment du départ, ou n’en être guère loin, semblable à celui que la perte a rendu prudent et sage, je vais repensant où j’ai laissé la route, à main droite, qui mène à bon port ; et si d’un côté je suis aiguillonné par la honte et la douleur qui me font retourner en arrière, de l’autre, je n’ai pas la force de me débarrasser d’une passion dont l’habitude est en moi si forte, qu’elle me donne la hardiesse de pactiser avec la mort.

Chanson, voilà où j’en suis ; et la peur m’a bien plus refroidi que la neige glacée, car je me sens périr sans aucun doute. Pourtant, après réflexion, j’ai roulé autour de l’ensuble une grande partie de