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déjà fatiguées, et que dans presque toutes les vallées retentisse le bruit des douloureux soupirs qui témoignent de ma vie misérable. Et si en cela la mémoire ne me vient point en aide, comme d’habitude, mes maux seront sans excuse ainsi que la pensée qui lui donne une angoisse telle qu’elle lui fait oublier tout le reste, et me fait à moi-même oublier ma propre existence ; car cette pensée tient mon âme, et moi je n’ai plus que l’écorce.

Je dis que jusqu’au jour où Amour me livra le premier assaut, de nombreuses années s’étaient écoulées, de façon que j’avais perdu l’aspect juvénil, et tout autour de mon cœur, les pensées graves et sérieuses avaient fait une enveloppe quasi aussi dure que le diamant, qui ne permettait pas à mon humeur farouche de l’adoucir. Les larmes ne baignaient pas encore ma poitrine, et n’interrompaient point mon sommeil ; et ce qui n’existait pas encore en moi me semblait un miracle chez les autres. Hélas ! que suis-je ! que fus-je ? La fin de la vie et le soir de la journée sont seuls à louer. Le cruel dont je parle, voyant que jusqu’alors les atteintes de son dard n’avaient pas dépassé mon vêtement, choisit dans son escorte une puissante dame auprès de laquelle ne m’ont jamais servi ou me servent peu l’esprit, la force, ou demander pardon. Tous deux me transformèrent en ce que je suis, me faisant, d’homme vivant, un laurier vert, qui, même dans la froide saison, ne perd pas son feuillage.

Que devins-je, quand je m’aperçus pour la première fois de la transfiguration de ma personne, et que je vis mes cheveux se changer en ce même feuillage dont j’avais autrefois espéré leur faire une couronne ;