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yeux, mais pour le monde aveugle et qui n’a cure de la vertu.

Et qu’il vienne vite, parce que la Mort enlève d’abord les meilleurs et laisse vivre les mauvais. Celle-ci, attendue au royaume des Dieux, est une belle chose mortelle, elle passe et ne dure pas.

Il verra, s’il arrive à temps, toute vertu, toute beauté, toute royale habitude réunies en un seul corps avec une admirable harmonie.

Alors il dira que mes rimes sont muettes, et que mon esprit a été accablé par l’excès de lumière ; mais s’il tarde plus longtemps, il en pleurera toujours.


SONNET CXC.

Pensant à ce jour où il la laissa si triste, il craint pour sa santé.

Quelle peur j’ai quand me revient en la mémoire ce jour où je laissai ma Dame sombre et pensive, et mon cœur avec elle ! Et ce n’est point chose à laquelle on pense si volontiers et si souvent.

Je la revois humblement assise parmi de belles dames, comme une rose au milieu de fleurs moindres ; ni joyeuse ni triste, comme quelqu’un qui appréhende et qui ne sent pas d’autre mal.

Elle avait déposé sa grâce accoutumée, les perles et les guirlandes et les vêtements gais, et le rire et le chant, et le parler doux et bienveillant.

Ainsi, dans cette incertitude, j’ai laissé ma vie ; maintenant les tristes augures et les songes et les noirs pensers m’assaillent ; et plaise à Dieu que ce soit en vain.