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nouvelles, et à dédaigner celles que prise la multitude. Cette âme, encore indécise du cours qui serait donné à sa destinée, seule, pensive, toute jeune et libre de tout bien, entra, au printemps, en un joli bois.

Une tendre fleur était née la veille en ce bois ; et ses racines étaient placées de façon que toute âme qui s’en approcherait ne pût plus s’en débarrasser, car elles étaient formées de lacs si extraordinaires, et la fleur attirait à elle par un tel plaisir, qu’y perdre sa liberté était considéré comme une grande faveur.

Chère, douce, haute et pénible faveur, toi qui m’as si vite conduit au bois verdoyant qui nous fait d’habitude dévier de notre route au beau milieu de notre voyage ! Et je cherche depuis, dans toutes les parties du monde, si les vers, les pierres ou le suc des herbes étrangères ne rendront point un jour la liberté à mon âme.

Mais, hélas ! je vois maintenant que ma chair sera délivrée de ce bien qui fait son plus grand mérite, avant que les remèdes anciens ou nouveaux aient guéri les plaies qui me furent faites dans ce bois rempli d’épines ; ce qui fait que j’en sortirai boiteux, alors que j’y suis entré d’une si grande course.

J’ai à fournir une rude course pleine de lacs et d’épines, où de tous côtés font défaut les plantes légères, sveltes et saines. Mais toi, Seigneur, qui es renommé pour ta pitié, tends-moi ta main droite en ce bois ; que ton soleil dissipe mes nouvelles ténèbres.

Vois en quel état je suis réduit par les beautés qui, interrompant le cours de ma vie, me font un habitant du bois sombre ; rends, s’il se peut, libre et dégagée de tout lien, mon âme errante ; et accorde-moi cette