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moi, et j’emporte toujours avec moi ce cher fardeau qu’Amour m’a imposé.

Je me suis souvent à moi-même un sujet d’étonnement, de ce que, marchant toujours, je ne me suis pas encore débarrassé du beau joug que j’ai plusieurs fois essayé en vain de secouer, mais qu’au contraire, plus je m’en éloigne, plus je m’en rapproche.

Et de même que le cerf, blessé par la flèche, fuit emportant à son flanc le fer empoisonné, et ressent d’autant plus sa blessure qu’il presse davantage sa fuite,

Ainsi moi, avec ce trait enfoncé dans mon flanc gauche, qui me tue et me fait plaisir tout à la fois, je me consume de douleur et je me fatigue à fuir.


SONNET CLV.

Son tourment est étrange et unique, car Laure, qui en est la cause, ne s’en aperçoit pas.

Non, quand bien même on chercherait sur les rivages de toutes les mers, de l’Ibérus espagnol à l’Hydaspe indien, des bords de la mer Rouge à ceux de la mer Caspienne, au ciel et sur la terre il n’existe qu’un phénix.

Quel est donc le corbeau qui, à droite, a croassé mon destin ; quelle corneille l’a crié à gauche ; quelle est la Parque qui le file, que, seul, je trouve la pitié sourde comme un aspic, et que je reste misérable là où j’espérais être heureux ?

Je ne veux point parler d’elle ; mais de celui qui l’accompagne, lui remplit le cœur de douceur et d’amour, tant il en a et tant il en donne aux autres.

Et pour rendre mes douceurs amères et impi-