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cher par terre et par mer sur tous les rivages, qui peut savoir toutes les conditions de la vie humaine ? Voici que l’on vit d’odeurs là-bas sur le grand fleuve ; mais je nourris ici de feu et de lumière mes frêles et faméliques esprits. Amour, je puis bien te le dire, il n’est pas convenable à un maître d’être si parcimonieux. Tu as les traits et l’arc ; fais que je meure de ta main, et que je ne me consume pas de faim et de désir, car une belle mort honore toute la vie.

Une flamme enfermée est plus ardente ; et si cependant elle s’accroît, on ne peut plus, en aucune façon, la cacher. Amour, je le sais, car je l’éprouve par toi. Or, mes propres gémissements me fatiguent moi-même, car j’ennuie mes plus proches voisins et ceux qui sont le plus éloignés. Ô monde, ô pensers vains ! Ô cruelle malechance, où m’as-tu conduit ? Ô jour où une belle lumière fit naître en mon cœur l’espoir tenace, grâce auquel m’enchaîne et m’oppresse celle qui, par la force que tu lui prêtes, me mène à la mort ! La faute en est à vous, et moi j’en supporte le dommage et la peine.

Ainsi je porte le tourment de bien aimer, et je demande pardon de la faute d’autrui, ou plutôt de la mienne, car je devrais détourner mes yeux d’une lumière trop forte et fermer les oreilles à ce chant de sirènes ; et je ne m’en repends pas encore, car c’est d’un doux venin que mon cœur déborde. J’attends seulement que celui qui me donna le premier coup me porte le dernier ; ce sera, si j’estime juste, une sorte de pitié que de me tuer promptement, car je ne suis pas disposé à faire de moi autre chose que ce que j’ai coutume de faire ; car il meurt toujours bien, celui qui, en mourant, s’affranchit de ses maux.