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j’étais arrivé quasi au comble de la félicité, en pensant en moi-même à quelle main ce gant avait servi.

Et je ne me rappelle jamais ce jour qui me fit riche et pauvre en un même moment, sans me sentir ému de colère et de douleur, sans me sentir plein de vergogne et d’amoureux dépit.

Car ma noble proie ne me resta pas plus qu’il n’était besoin, et ne put pas même résister à la force d’une ange.

Pendant qu’elle s’enfuyait, je ne pus pas mettre des ailes à mes pieds, pour avoir au moins vengeance de cette main qui me tira tant de larmes des yeux.


SONNET CXLIX.

Brûlé par les flammes amoureuses, il n’en accuse que son mauvais sort.

C’est d’une belle glace, vive, claire et polie que vient la flamme qui me brûle et me consume, et qui me sèche et me suce de telle façon les veines et le cœur, que je péris insensiblement.

La mort, le bras déjà levé pour frapper, de même que le ciel irrité tonne, ou que le lion rugit, s’acharne à poursuivre ma vie qui s’enfuit ; et moi, plein de peur, je tremble et je me tais.

La pitié, mêlée à l’amour, pourrait bien encore, pour me soutenir, interposer une double colonne entre mon âme lasse et le coup mortel ;

Mais je ne le crois pas, et je ne le vois pas à l’air de celle qui est ma douce ennemie et ma Dame. Et de cela, je ne l’inculpe pas, elle, mais bien ma mauvaise fortune.