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SONNET CXXIV.

La vue du beau pays de Laure lui fait oublier les périls du voyage.

Amour, qui donne des ailes aux pieds et aux cœurs de ses disciples, pour les faire s’envoler vivants au troisième ciel, m’a montré en un jour, par la fameuse forêt d’Ardennes, mille plaines et mille ruisseaux.

Il m’est doux d’être allé seul et sans armes là où Mars armé frappe sans avertir ; à peu près comme un navire qui irait sur mer sans gouvernail et sans antennes, plein de pensers graves et fâcheux.

Pourtant, arrivé à la fin de la journée obscure, me rappelant d’où je viens et de quelle façon, je sens de mon trop d’audace naître ma peur.

Mais le beau pays et le fleuve délicieux, de leur accueil serein rassérènent mon cœur déjà tourné là où habite sa lumière.


SONNET CXXV.

Tourmenté par Amour, il veut le dompter avec la raison, mais il ne peut.

Amour m’éperonne et me serre tout en même temps le frein, il me rassure et m’épouvante, il me brûle et me glace, il me fait bon accueil et me dédaigne, il m’appelle à lui et me repousse, il me tient tantôt dans l’espérance et tantôt dans la peine.

Tantôt il exalte, tantôt il abaisse mon cœur lassé ; aussi mon désir flottant çà et là a-t-il perdu la voie, et son souverain plaisir paraît-il lui déplaire, tellement mon esprit est plein d’une si étrange erreur.

Une pensée amie lui montre le gué, mais ce n’est pas un gué de larmes par lequel il puisse aller promptement là où il espère être satisfait.